Voici la version originale d’un papier écrit à quatre mains avec Clément Guillou de Rue89, que vous pouvez retrouver ici Formule 1 : Grand Prix de Barheïn et gros problèmes.
Il y aura donc bien 20 courses en F1 cette année.
Au début de la saison tout le monde se posait encore la question si il était prudent de se rendre au Bahreïn cette année.
L’an dernier, le Grand Prix avait été annulé. Situation politique jugée trop sensible dans la capitale Manama. Printemps arabe oblige, les manifestions étaient violentes et le monde de la Formule 1 n’avait pas voulu être otage médiatique de ces événements.
Un an après, la situation n’a pas changé. La population est toujours violemment réprimée pour ses demandes de réformes mais le Prince héritier Salmane ben Hamad Al-Khalifa a appelé à l’unité dans l’Émirat.
Ce n’est pourtant pas un appel à la pacification mais une nécessité pour le pouvoir politique de bien paraître aux yeux du monde rivés sur son pays en ce week-end de GP.
Le sport doit triompher. Pas nécessairement le peuple.
Tout ce que la F1 avait voulu éviter l’an dernier…
Début avril pourtant les écuries de F1 n’étaient pas trop enthousiastes à l’idée de se rendre sur le circuit de Sakhir. Selon les médias britanniques, il se murmurait même en coulisse que tout le monde espérait que la Fédération internationale de l’automobile (FIA) annulerait la course. Pas tant pour des questions d’intégrité que pour des questions de sécurité pour le F1 Circus lui-même (c’est comme ça que l’on appelle le petit monde de la F1).
Tonton Bernie.
Mais Bernie Ecclestone est monté au créneau à la veille du GP de Chine la semaine dernière : « Il n’y a aucun problème. Ces problèmes n’existent que dans les médias qui n’ont aucune idée de ce qui se passe là-bas. C’est ça le problème. L’autorité sportive nationale nous informe sur ce qui se passe là-bas. Mais rien ne se passe. Je connais des gens qui y vivent. C’est calme et paisible. Il est venu le temps de dire que le GP de Bahreïn aura bien lieu, les problèmes internes sont sous contrôle. » (source AFP)
Et dans la foulée, la FIA a annoncé sans surprise la tenue du Grand Prix de Bahreïn. Son président Jean Todt étant toujours aussi peu courageux face à l’adversité du grand argentier de la F1.
Dans l’absolu, ni les ministères des affaires étrangères ni les assurances n’ont interdit aux teams de se rendre sur le terrain. La situation est jugée stable et sans risques particuliers par les gouvernements. Mais certains pilotes demeuraient soucieux tandis que d’autres comme Sébastien Vettel ou son compatriote Michael Schumacher espéraient vivement concourir. Aujourd’hui sur place, l’hypocrisie générale règne à quelques sons de voix près qui s’élèvent contre des incidents troublants qui perturbent la préparation de la course. Certains pilotes, comme Nico Hulkenberg, pensent même être pris en otage d’enjeux qu’ils ne maitrisent pas.
Jeudi de nouvelles manifestations de mécontentement, contre le régime et contre la course, ont été vivement réprimé par les forces de l’ordre. La situation est loin d’être normale comme les journalistes sportifs – anglais notamment – le redoutaient.
En 1986, alors que la F1 venait y courir depuis une vingtaine d’année, le circuit de Kyalami en Afrique du Sud était enfin retiré du calendrier en raison de la politique d’apartheid mené par le gouvernement de l’époque. Mais la situation est différente avec le Bahreïn.
Les pays du Moyen-Orient sont dirigés par de riches rois ou princes. Et Bernie Ecclestone apporte la F1 a qui se la paie. Que ce soit avec des mains maculées d’or ou de sang.
La question que tout le monde doit donc se poser aujourd’hui est de savoir si il faut, en tant que téléspectateur occidentale, boycotter ou non la course de ce week-end. Comme certains ont refuser de suivre les Jeux Olympique de Pékin en 2008.
Made in China.
Là aussi, la F1 ne rechigne pas à se rendre en Chine sous l’impulsion économique d’Ecclestone. Le circuit de Shanghai possède depuis 2004 un des tracés les plus réussis parmi ceux livrés depuis une dizaine d’années en dehors de la vieille Europe.
Et le Grand Prix de Chine 2012, couru la semaine dernière, fut l’une des plus belles courses de ces dix dernières années. Elle aura en plus offert la première victoire en carrière à Nico Rosberg, fils de Keke Rosberg champion du monde 1982 – l’année même où les pilotes de Grand Prix s’étaient mis en grève sur le circuit de Kyalami pour protester non pas contre la fameuse situation politique du pays mais contre les premiers coups bas de Bernie Ecclestone himself qui tentait, à l’époque, de déjà prendre le pouvoir au sein de la discipline.
Nico est le troisième fils de pilote à remporter un GP de F1 après Damon Hill, fils de Graham et Jacques Villeneuve, fils de Gilles dont on va commémorer dans quelques jours le 30ème anniversaire de la disparition tragique aux essais du GP de Belgique à Zolder, le 8 mai 1982.
Cette course à Shanghai, c’est aussi la première victoire de Mercedes Grand Prix sous sa propre bannière depuis son retour en F1 en 2010. Et vu la qualité de la voiture et de son duo de pilotes (Rosberg fait en effet équipe avec le septuple champion du monde Michael Schumacher), elle en appelle forcément d’autres, comme au temps de la première splendeur de la marque de Stuttgart avec Juan Manuel Fangio en 1954 et 1955 (avant de se retirer de toute compétition suite au drame des 24 Heures du Mans 1955 où une Mercedes, propulsée accidentellement dans la foule, tua 88 spectateurs.)
Quand t’es dans le désert.
Le Royaume de Bahreïn compte malheureusement contre lui un des tracés les plus mauvais du championnat du monde de F1 offrant en générale des courses d’un ennui profond. Espérons que dimanche après la course, nous n’ayons pas droit à un fameux tout ça pour ça et que au-delà même de l’aspect sportif, la F1 ait pu offrir un coup de projecteur nécessaire à une reprise de négociations pour que les droits de l’homme puissent enfin reprendre leur place dans ce pays. Il est encore temps, le printemps est à peine là.
Et ce serait un moindre mal.